dimanche 1 juin 2008

Manifestations de Tbilissi : le statu quo campe entre l’opposition et le gouvernement

Article paru dans l'édition du 07/11/2007
Par Nicolas LANDRU à Leipzig



© Alexander Kedelashvili, Manifestation de l'opposition à Tbilissi

Le 2 novembre 2007, une alliance des forces d’opposition de Géorgie rassemblait le plus grand nombre de manifestants depuis la Révolution des roses de 2003 devant le parlement de la capitale, avec l’intention de prolonger le mouvement jusqu’à ce que le gouvernement cède à ses revendications. Ce grand rassemblement, annoncé début octobre, et que les auteurs n’ont pas involontairement doté de similarités avec la Révolution dont le gouvernement actuel tire sa légitimité, tenait toujours devant le parlement 5 jours après son commencement, même si le nombre de manifestants avait sensiblement diminué. Au matin du 7 novembre, les forces de police anti-émeutes l'ont dispersé aux canons à eau et au gaz lacrymogène, après une confrontation physique entre forces de l'ordre et manifestants; mais dans les heures qui suivaient, des manifestations reprenaient ailleurs dans Tbilissi, notamment sur la grande place de Rike.

La plus grande manifestation depuis la Révolution

Le gouvernement chiffre 25 000 personnes à avoir répondu à la demande des leaders de l’opposition de venir manifester à Tbilissi pour les journées des 2 et 3 novembres 2007. Les organisateurs parlent en revanche plus de 100 000 manifestants. Les observateurs extérieurs parlent quant à eux de 50 000 personnes. Quoiqu’il en soit, ce rassemblement dans la rue est le plus grand depuis celui qui a porté Mikhaïl Saakachvili et le présent gouvernement au pouvoir, même si les chiffres de 2003 n’ont aucune commune mesure avec ceux de ce mois de novembre.
L’opposition voudrait néanmoins tirer légitimité de cet état de fait pour acculer le régime à céder à ses demandes ; la préparation très médiatisée de l’évènement - la chaîne de television Imedi retransmet les manifestations 24 heures sur 24 - avait d’ailleurs tout fait pour le rendre spectaculaire avant même qu’il n’aie lieu.

Si ce dernier s'est effectivement déroulé, il semblait avoir perdu de son souffle au tournant du week-end, mais l’intervention télévisée d’Irakli Okrouachvili, l’ancien proche du président arrêté puis libéré sur caution et repentir à la mi-octobre, provoquait d’après les observateurs un renouveau d’assiduité. Mardi après-midi, les organisateurs parlaient de planter une « ville de tente » devant le parlement géorgien. Le lendemain matin, les forces anti-émeutes dispersaient le rassemblement, mais celui-ci se reformait ailleurs.

L’attitude du gouvernement s'est sensiblement durcie suite à l’intervention médiatique du président Saakachvili, alors qu’il gérait jusqu'ici la manifestation avec une certaine distance. Si le président minimisait les attaques à son encontre en évoquant le droit à manifester dans une démocratie, il s’empressait également de dénoncer les « technologies politiciennes » des partis d’oppositions qu’il qualifiait d’ « usines de mensonges ». Le ton du régime est surtout monté dans les attaques verbales à l’encontre de l’oligarque Badri Patarkatsichvili qui finance une partie de l’évènement et détient le média Imédi, en lequel l’opposition détient une plateforme d’expression. Entre opposition et gouvernement, les insultes fusent, versant abondamment dans le tendancieux, d’accusations de nazisme à des références antisémites et anti-arméniennes.

Après la dispersion du rassemblement devant le parlement, le gouvernement déclarait que certains membres de l'opposition ont été engagés dans des crimes contre l'Etat. Du ministère de l'Intérieur émanait le propos que l'opposition collabore avec les services de contre-espionage russes. La rhétorique est montée d'un cran dans la journée du 7 novembre, et malgré l'appel au calme de quelques personnalités, dont le patriarche de l'église orthodoxe, il semble difficile d'engager une désescalade, les menaces du gouvernement se faisant de plus en plus concrètes.

Les quatre revendications de l’opposition

Les leaders de la manifestation, qui scandent leurs revendications devant le parlement depuis le 2 novembre, ont 4 exigences principales. La première est d’avancer au printemps les élections parlementaires prévues par des amendements à la constitution pour fin 2008. Il appartient au président de décider de la date exacte ; or il prévoit pour l’instant les élections parlementaires à la même période que les élections présidentielles, ce qui allonge la durée de session du parlement. Saakachvili a maintenu sa décision initiale dans sa déclaration du 4 novembre.

La deuxième concerne l’impartialité de la Commission Electorale Centrale. Ce type de revendication était le fer de lance de la Révolution des Roses. L’opposition s’appuie justement sur le fait que selon elle les conditions de neutralité n’ont pas été améliorées, étant donné que le secrétaire de la Commission, Levan Tarkhnichvili, entretiendrait de proches liens avec le pouvoir alors qu’il serait censé n’avoir aucune affiliation politique. La falsification évidente des scrutins lors des dernières élections locales est l’argument majeur de l’opposition pour réclamer que la Commission inclue des représentants de tous les partis politiques.

En troisième point, les manifestant veulent réformer le scrutin législatif majoritaire en un scrutin permettant aux individus d’être élus députés, et non comme le veut la législation actuelle au parti vainqueur, qui obtient sur la circonscription remportée la totalité des sièges. Ce mode de scrutin permet ainsi au parti le mieux établi, en l’occurrence le Mouvement National au pouvoir, d’avoir une écrasante majorité au parlement, ce qui selon l’opposition ne serait pas le cas si un scrutin proportionnel individuel était en vigueur.

Enfin, les leaders de l’opposition réclament la libération de ce qu’ils considèrent être des prisonniers politiques et de conscience. La demande concerne avant tout le leader d’opposition Irakli Batiachvili, qui aurait selon la sentence de la Cour de Tbilissi porté « assistance intellectuelle » au seigneur de la guerre svane Emzar Kvitsiani. Mardi 6 novembre, les manifestants réitéraient qu’ils n’auraient confiance en une ouverture au dialogue du gouvernement que si Batiachvili était libéré.

Dimanche 4, les leaders les plus radicaux réclamaient la démission de Saakachvili, alors que celui-ci restait sourd aux revendications et que l’unique dialogue entamé avec le régime, en la personne de la présidente du parlement Nino Bourdjanadzé, restait sans lendemain. Une attaque politique plus largement affirmée vise les détenteurs du pouvoir, ex-membres de l'ONG « Liberty Institute », le ministre de l’Intérieur Vano Mérabichvili et le député Giga Bokéria en tête. Selon l’opposition, ils accapareraient le pouvoir autour du président et tiendraient celui-ci en otage. Depuis plus d’un an déjà, le clan au pouvoir issu du Liberty Institute est vu par l’opposition comme l’auteur d’une concentration accrue des pouvoirs.

Un conglomérat d’oppositions

Combien de temps l’union des leaders d’oppositions rassemblés devant le parlement et unis par leurs exigences communes tiendra-t-elle ? La question se pose d’autant plus que les mouvements réunis sous le chapeau des revendications sont pour le moins hétérogènes. Issues des mouvances les plus variées du paysage politique géorgien, et réunies pour la manifestation sous le nom Conseil National d’un Mouvement Unifié, ils comprennent :

Le Parti Républicain de centre-droit autour de Davit Ousoupachvili ; le Parti Conservateur de Zviad Dzidzigouri ; l’extrême-droite « Liberté » de Konstantine Gamsakhourdia ; l’extrême-gauche populiste de Chalva Natelachvili (Parti Ouvrier) ; le parti indépendant de Salomé Zourabichvili, « Une voie pour la Géorgie » ; le parti des réfugiés d’Abkhazie « Par nous-même » de Paata Davitaia ; le Forum National de Kakha Chartava ; le Mouvement pour une Géorgie Unie, nouveau parti militariste de l’ex-ministre de la défense Irakli Okrouachvili ; et la « Troupe Géorgienne », également militariste, de Djondi Bagatouria.

En somme, toutes les tendances politiques qui ne sont pas au pouvoir sont ici réunies, des plus nouveaux partis issus d’anciens collaborateurs de Saakachvili aux anciens mouvements zviadistes, des post-communistes à l’extrême-droite en passant par les modérés. Cette opposition est unie par l’occasion de sa contestation du régime actuel, elle est aussi stratégique ; mais le fait d’être en opposition sera-t-il suffisant pour former un bloc qui tiendrait jusqu’aux prochaines législatives ? L’éclectisme du mouvement engendre sa légitimité populaire, mais aussi sa faiblesse politique.

Vient en outre le soutient du millionnaire et magnat médiatique Badri Patarkatsichvili, entré en politique officiellement au mois d’octobre, qui offre au mouvement contestataire le média Imedi, et que le gouvernement pointe justement pour discréditer le mouvement. Véritable front anti-gouvernemental, le mouvement ne laisse guère les experts prévoir qu’il puisse aller au-delà des revendications exprimées au gouvernement avec le soutien de la rue, même à entrevoir une « Grande Coalition » pour les élections de 2008.

Mais si le statu quo perdure et que le ton durcit encore de la part du gouvernement, la Géorgie pourrait bien s’enliser dans la crise politique, et le mouvement former un front électoral. Celui de la Révolution des Roses, précisément celui qui portait Mikhaïl Saakachvili au pouvoir, n’était-il pas tout autant éclectique ? Et l’élimination subséquente des autres coalisés une fois le pouvoir en place n’est-il pas le reproche de fond adressé par l’opposition ? Mais encore faudrait-il éviter la confrontation violente, dont la journée du 7 novembre s'est sensiblement rapprochée.

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